1er février 2019 : Navigation de Deception à Trinity - mouillage de Port Mikkelsen (64 milles)
Après une nuit de sommeil quelque peu entrecoupée de coups d'oeil pour vérifier que nous n'avons pas dérapés, nous levons l'ancre à 06h55 afin de trouver un meilleur mouillage lorsque le vent soufflera un peu plus fort. Un joli voilier à la coque rouge nommé "Perd par le Nord" est venu mouillé pas très loin de nous pendant notre sommeil. Nous faisons le tour de ce voisin en espérant dire bonjour mais tout le monde semble dormir à bord. Tant pis, ce sera peut-être pour une autre fois.
L'AIS nous signale un autre voilier nommé "Pagan" mouillé dans la seconde baie. Celui-ci aussi nous aurons peut-être l'occasion de le croiser plus tard.

Un gros bateau de croisière fait son entrée par le Soufflet de Neptune. Nous le laissons passer avant de nous y engager à notre tour. Une fois dehors, nous hissons la GV avec 2 ris, puis nous déroulons le génois. Comme ça fait du bien de faire un peu de voile. Brindacier semble tout ragaillardi par ce long bord de près. C'est comme s'il s'ébrouait au sortir d'un long sommeil. Le temps est splendide et les paysages incroyables. Nous croisons quelques icebergs.

Navigation au près serré dans des paysages somptueux

    

La veille visuelle continue est obligatoire pour surveiller la glace flottante, les baleines, ... Malgré le froid, c'est un vrai régal pour les yeux. 64 milles est une longue distance à parcourir d'une traite mais les journées sont très longues et rend la chose tout à fait réalisable. La visibilité est incroyable, nous voyons l'île Trinity située à plus de 50 milles de distance !!!

A l'approche de l'île, le vent tombe et nous mettons en route le moteur. Mais peu de temps après, le vent se lève de nouveau : 25 noeuds de face. Ce n'est pas du tout ce que nous avions prévu. Il reste peu de route à parcourir mais ce peu est vraiment désagréable car le vent lève un clapot qui heurte Brindacier et le chenal est bien encombré de glace. C'est notre première navigation à touche-touche avec les glaçons et nous n'en menons pas large. Mais comme on dit : "C'est en forgeant que l'on devient forgeron ...".

Première navigation dans les glaçons

    

Lorsque nous arrivons en vue du mouillage prévu, nous sommes dépités. Le mouillage n'a pas l'air protégé de la mer ni du vent et même pas de la glace dérivante !!! Ah là là, mais quand donc allons-nous pouvoir souffler un peu !!!
De plus, les fonds sont vraiment difficiles pour mouiller car il y a juste un petit haut-fond assez proche, nous dirions même trop proche, de l'île Hainaut située dans la baie et juste après ce micro haut-fonds se trouvent des profondeurs de 80 mètres. Il suffit donc que l'ancre dérape un peu et hop, là voilà dans le grand bleu à se balader au bout du guindeau ...

Notre première manoeuvre se solde par un échec. Il faut dire que ce n'est pas facile avec le clapot, le vent et le growler qui se trouve juste à côté de là où nous devons mouiller. Bon, nous remontons lentement le mouillage complet (60 mètres de chaîne plus l'ancre) qui pendouillent dans le bleu. Finalement, changer le moteur de 1200 Watts du guindeau par un 1500 Watts aurait été une bonne idée ... Mais nous avions d'autres chats à fouetter ...

Notre seconde manoeuvre est mieux réussie. Nous avons abordé le haut-fond d'un autre côté et cela nous permet d'avoir 20 mètres de fond sur plusieurs longueurs pour laisser à l'ancre le temps de crocher avant de se retrouver dans le bleu. Ca y est, ça tient !!! Nous prenons plusieurs amers afin de vérifier régulièrement que nous ne dérapons pas.

Vue de l'île Hainaut avec sa colonie de manchot papou et le refuge argentin

Ouf, après environ 13 heures de navigation, nous pouvons souffler un peu, allumer le poële et nous restaurer. Malheureusement, la glace rentre dans le mouillage et nous décidons de faire des quarts de nuit afin de veiller qu'aucun iceberg ni growler ne vienne coincer Brindacier pendant la nuit. Normalement, le vent devrait tomber pendant la nuit. En effet, à 03h00 du matin, Sandrine blottie à proximité du poële pendant son quart de veille, observe une acalmie et finalement, nous décidons que nous pouvons dormir un peu sans trop d'inquiétude.

Les gowlers qui entrent dans le mouillage

Au petit matin, le vent n'est pas aussi faible que prévu et nous ne nous sentons pas tranquille car beaucoup de plaques de glaces semblent vouloir entrer dans la baie. Grrrr ... Nous ne pourrons pas aller à terre visiter la cabane et observer les nombreux manchots que nous voyons dans les jumelles.
Tant pis, la sécurité passe avant tout et nous avons VRAIMENT besoin d'un mouillage où nous pourrons nous reposer enfin. Nous avons accumulé pas mal de fatique physique mais la fatigue psychologique est pire encore. C'est pourquoi nous levons l'ancre au petit matin, direction Entreprise, un mouillage à priori de tout repos, croisons les doigts ...

2 février 2019 : Navigation de Trinity à Entreprise (51 milles)
Le temps est magnifique et les paysages à couper le souffle !!! Les photos ne rendent pas hommage à ce que l'Antarctique offre à nos yeux émerveillés. C'est bien dommage mais nous n'y pouvons rien. Il faudra que vous veniez voir sur place pour comprendre notre désarroi de ne pouvoir vous faire partager ce lieu aussi pleinement que nous l'aimerions. Nous nous sentons privilégiés d'être là et nous en profitons à fond.

Que du bonheur, même camoufflés sous des couches de vêtements ...

    

Nous sommes très étonnés du nombre de bateaux que nous voyons sur l'AIS. Finalement, nous ne sommes pas aussi seuls que nous l'avions pensé et c'est assez rassurant malgré tout.
Après cette traversée sans histoire, nous arrivons à proximité de notre objectif du jour. Nous ne savons pas si nos cartes sont exactes et nous avons quelques dessins figurant le mouillage récupérés auprès de voiliers nous ayant précédés.

Nous sommes loin d'être seuls ...

    

Pendant la navigation, nous croisons quelques baleines assez éloignées et un petit iceberg au sommet duquel trône un oiseau absolument pas dérangé par notre passage.

Un iceberg habité

    

Le sondeur est un bon moyen de vérifier l'exactitude des cartes et nous sommes contents qu'il soit réparé. Nous vérifions que la profondeur change là où elle devrait quand Brindacier passe une ligne de niveau sur la carte. A priori, cela semble plutôt juste même si certaines remontées de fond ne sont pas indiquées.
Le virage pour entrer dans le mouillage est délimité à tribord par un rocher affleurant. Nous ne le voyons pas mais un iceberg échoué nous indique précisément sa position.
Nous passons lentement entre lui et plusieurs baleines pour nous mettre dans l'axe et ainsi arriver doucement le long du flanc de l'épave à laquelle nous amarrons Brindacier à l'aide de grosses sangles pour limiter le ragage sur les amarres.

Arrivée à Entreprise

    

Amarré de l'autre côté, nous retrouvons un voilier finlandais avec qui nous avions fait connaissance au Micalvi. Nous irons leur dire bonjour demain car pour le moment nous devons porter des amarres à terre pour éloigner Brindacier de la coque rouillée de l'épave. En effet, les flancs de l'épave pourraient racler le coté de Brindacier et à marée basse nous pourrions même nous poser dessus !!!

Robin se lance dans l'escalade d'une pente neigeuse pour accrocher une amarre sur un piton bien placé. Un cormoran Antarctique curieux vient lui tenir compagnie. Une seconde amarre est mise à l'avant avec une élingue posée autour d'un gros rocher.
Ca y est, nous sommes posés et nous pouvons enfin respirer l'esprit tranquille !!!
Si cet endroit est aussi sécurisant qu'il en a l'air, nous allons y rester le temps qu'il faudra pour reprendre du poil de la bête !!!

Robin porte les amarres à terre pour éloigner Brindacier de l'épave

    

Et voilà !!!

Le poële est allumé et le carré se réchauffe. Quel bonheur de se poser un peu l'esprit et le corps au repos. Nous savourons ces heures paisibles. Allez, au lit, il est temps de dormir sur nos deux oreilles, enfin ...
Nous dormons comme des loirs jusqu'à 11h30 !!! Incroyable, c'est donc que nous en avions vraiment besoin !!! Nous sommes ravis d'être là. Le mouillage est splendide. Nous sommes au pied d'une grande pente de glace d'un côté et d'un glacier de l'autre. Brindacier est posé sur un lac et nous voyons des baleines s'ébattre à une centaine de mètre de son arrière. Cet après-midi, nous irons les voir de plus prêt.

Réveil dans un lieu improbable ...

Le lendemain, le temps est magnifique. Nous mettons l'annexe à l'eau pour aller voir si les baleines sont toujours à l'entrée. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Mais la mer est tellement calme que nous en profitons pour pousser un peu plus loin. En cas de problème, nous avons pris avec nous dans un sac étanche, un Vhf portable, de l'eau, des bananes sêchées,  ... Enfin bref, de quoi appeler à la rescousse au cas où et attendre sans mourir de faim ni de soif. Mais il n'y a pas de raison que cela arrive.
Nous faisons doucement le tour de petits icebergs aux belles couleurs bleutées et vertes.

Ballade en annexe

    

Puis, nous accostons sur des rochers à proximité d'un endroit où nous avons repéré des phoques. Bien qu'ils soient agressifs et qu'il faille s'en méfier, Sandrine aimerais bien voir un phoque léopard. Ceux dont nous nous approchons n'en sont pas. Ils sont tranquilles et nous surveillent du coin de l'oeil sans aucune trace d'inquiétude. Nous respectons les distances autorisées et nous zoomons à fond sur l'appareil photo. C'est dommage que les documents que nous avons à bord ne soient pas assez détaillés pour nous apprendre à les reconnaître, mais c'est quand même trop COOOOOOL !!!

Première rencontre avec les phoques

    

L'annexe n'est pas très heureuse à frotter contre les rochers, même si ceux-ci sont bien ronds et sans coquillages. Aussi, nous ne nous attardons pas trop et nous rentrons sur Brindacier, notre home sweet home.
A notre arrivée, nous voyons arriver le voilier Isatis que nous avions doublé dans le Drake. Il se met à couple du voilier de l'autre côté de l'épave. Ca nous arrange bien car cela nous évite de devoir enlever nos amarres à terre. Remarquez, s'il avait fallu le faire, nous l'aurions fait sans problème. Ici, l'entre-aide entre voilier est de mise et c'est parfait comme ça. Cela change des rapports que l'on trouve chez nous en Méditerranée où il arrive qu'un voilier refuse d'en prendre un autre à couple quand il n'y a plus de place ailleurs (vécu à Porquerolles lors d'une arrivée de nuit au port ...).

Il y a foule à Entreprise !!!

Le reste de la journée se passe tranquillement. Le repos est de mise. Comme cela fait du bien d'avoir enfin l'esprit tranquille et ne pas être constamment sur le qui vive !!!

Home Sweet Home

    

Ce soir, il commence à neiger. Le rêve de Robin de voir Brindacier avec une belle couche de neige va peut-être se réaliser, qui sait ...
Après une soirée à côté du poële qui chauffe bien (mais pas vraiment les pieds ...), nous allons nous blottir sous la couette. Bien que celle-ci soit très chaude, le moment d'y entrer est toujours désagréable. Mais depuis que nous avons mis les bouillotes en service, c'est un vrai bonheur.

Le poële réchauffe l'eau des bouillotes et les firi-firi

    

Au réveil, nous ne voyons plus dehors à travers les hublots. Brindacier est recouvert d'une belle couche de neige. Comme c'est beau !!! Tout est paisible. Les bruits sont étouffés par cette belle couverture. Vraiment, quel bonheur !!! Nous sommes vraiment contents d'être ici et en plus, nous l'avons amplement mérité.

Brindacier sous la neige

    

    

Bon, ce n'est pas tout ça, mais il vaut mieux être prudent et ne pas laisser la neige trop s'accumuler au cas où il faudrait partir pour une raison ou une autre. l'un, muni de ses gants de pêcheur bien étanche et l'autre de la pelle et de la balayette, nous mettons deux heures pour libérer Brindacier de toute cette neige. C'est moins beau, c'est sûr, mais tant pis.
Il neige toute la journée, mais ce n'est pas grave car nous sommes bien au chaud à l'intérieur comme dans un chalet de montagne pendant qu'il fait froid dehors.
Et puis nous avons de quoi nous occuper car il est temps de faire la révision du moteur. Celui-ci nous semble vital en Antarctique alors nous ne voulons pas dépasser son heure de révision. Nous avons tout prévu pour le faire, en particulier le changement des filtres à gasoil. D'après ce que l'on nous a dit, c'est souvent là que se trouve la source des pannes. Pour savoir s'il faut changer un filtre, il suffit de vérifier de temps en temps si le moteur prend bien ses tours. S'il a du mal à monter en régime, il est temps de changer les filtres. Depuis notre époque "moteur 3 heures" (voir les navigations entre Panama et les Marquises), nous en sommes très conscients ...

Aujourd'hui est donc LA journée moteur : vidange de l'huile moteur, vidange de l'huile de l'inverseur, changement du pré-filtre à gasoil du moteur (post réservoir journalier), changement du filtre à gasoil moteur, nettoyage du pré-filtre décanteur (pré réservoir journalier), nettoyage du filtre à air, vérification des connexions, vérification de la tension de la courroie, vérification de l'impeller, nettoyage du filtre à eau de mer, ...

Nous sommes maintenant bien reposés et Brindacier prêt pour continuer son périple en Antarctique. C'est décidé, demain matin nous continuons vers des nouvelles aventures.

7 février 2019 : Navigation de Entreprise à Cuverville (25 milles)
Ce matin, il fait grand beau temps et nous décidons de partir vers le mouillage de Cuverville réputé comme un mouillage de beau temps. Il faut donc en profiter car il n'est pas toujours possible de s'y arrêter passer la nuit. Isatis nous indique qu'ils veulent y aller aussi mais ils prendront une autre route que la nôtre.

Comme c'est agréable de naviguer par beau temps. L'eau est d'huile. Nous pouvons raser les glaçons pour observer les animaux qui se prélassent dessus (phoques et manchots). De plus, nous pouvons voir les jets des baleines de très loin. Bien que nous faisons attention de ne pas nous en approcher, ce sont parfois elles qui viennent vers nous. Dans ce cas, nous ralentissons Brindacier et nous attendons de voir où elles vont passer. C'est magique de les voir plonger doucement avec leur queue en l'air. Nous ne nous en lassons pas.

Baleines en goguette ...

    

Pour parvenir au mouillage de Cuverville, nous voudrions passer par le Nord de l'île. Nos cartes ne sont pas très précises mais nous avons la trace d'un autre voilier ainsi que quelques schémas du mouillage. Mais l'entrée est remplie d'icebergs. Le temps étant très calme, nous décidons d'essayer de passer tout en douceur au milieu de ces gros blocs de glace. Ils sont plus hauts que le mât de Brindacier et beaucoup beaucoup plus gros. Nous passons au point mort sans faire de remous car il paraît qu'ils  peuvent se retourner sans prévenir.

Passage à prendre au milieu des icebergs

Nous sommes chanceux car nous réussissons à passer au milieu, là où il y a suffisament de fond, avec quelques mètres de chaque côté de la coque. C'est incroyable comme c'est beau !!!
Nous entrons tout doucement dans le mouillage, l'oeil collé au sondeur. Nous sommes tout seul mais nous essayons de trouver une place qui permette à Isatis de mouiller sans problème quand ils arriveront.

Exemple du schéma des mouillages de Cuverville récupéré auprès d'autres voiliers

Notre premier essai n'est pas une réussite car nous sommes juste dans l'alignement du trajet des icebergs. Nous changeons donc de place et Robin part accrocher deux amarres à terre bien que nous n'en aurions pas besoin normalement. Mais ces amarres maintiendrons Brindacier dans une position qui devrait laisser de la place pour Isatis. Les amarres sont attachées à des rochers avec des élingues pour éviter qu'elles ne s'en aillent quand elles seront sous l'eau à marée haute.

Amarrage de Brindacier aves des élingues à Cuverville

    

Une fois en place, nous mettons l'annexe à l'eau pour aller nous promener à terre voir la colonie de manchots papous qui s'y trouve. Nous faisons attention de ne pas les déranger et nous nous faisons surprendre par un phoque que nous n'avions pas vu.  Nous reculons doucement jusqu'à ce qu'il se remette en position de sieste. Ouf, il faut que nous inspections avec plus d'attention les rochers alentours car les phoques se confondent vraiment avec les rochers.

Ballade pour voir les manchots papou

    

         

    

Une fois à mi-chemin de la colonie de manchots, nous voyons Isatis arriver et mouiller en travers de la baie, une amarre à l'avant et une autre à l'arrière sur un îlot en face. Nous pensons qu'il risque d'avoir des problèmes avec cet amarrage car il fait barrière au passage des growlers. Mais bon, on verra bien ...

Isatis et Brindacier au mouillage

Après les avoir salué, nous partons nous promener en annexe au milieu des beaux glaçons qui  bouchent l'entrée Nord du mouillage.

En annexe autour des glaçons

    

De retour sur Brindacier, nous commençons la bataille anti-growlers dans les amarres. Comme prévu, ceux-ci entrent et sortent du mouillage au gré du courant et ce n'est pas parce que nous avons réussi à faire passer un growler sous une amarre qu'il ne reviendra pas s'y mettre quelques minutes après ... Ouh là là, la nuit va être longue !!! Nous n'aurions pas dû mettre d'amarre à terre et ainsi nous aurions pu tourner librement autour de notre ancre. Mais ce n'est pas certain qu'Isatis aurait eu de la place dans ce cas. Bon tant pis, c'est fait, ... Cela ne nous empêche pas de profiter du spectacle magnifique du soleil qui descend doucement sur l'horizon nous offrant une palette de couleurs splendide.

La glace entre doucement dans le mouillage sous les couleurs du soleil couchant

    

04h30 du matin, branle-bas de combat, la glace frotte fort contre la coque de Brindacier. Robin s'en occupe. Isatis est aussi sur son pont. C'est pire pour eux car ils ont une amarre arrière ET une amarre avant. Ils font donc un barrage complet à la glace qui transite d'un côté à l'autre du mouillage. Finalement, en désespoir de cause, ils larguent leurs amarres, remontent leur mouillage et s'en vont vers des lieux plus tranquille.

Cela nous arrange bien car du coup nous pouvons aussi larguer notre amarre arrière et tourner ainsi librement autour de notre ancre. Comme c'est paisible, pas un poil de vent, un paysage vraiment féérique, le bruit de fond de la colonie de manchots et plus de problème de glace !!!
Bon, ce n'est pas tout ça, une magnifique journée s'annonce, profitons-en pour naviguer un peu ...

8 février 2019 : Navigation de Cuverville à Admiralty Brown (17 milles)
La journée s'annonce splendide : beau soleil, 0 vent, petite distance à parcourir. Nous allons pouvoir prendre notre temps.
Et il en faudra du temps car il y a pas mal de champs de glace, heureusement petite, à traverser. Bien que Brindacier n'ait aucun problème à la franchir, nous préférons tout de même passer tout doucement. Cela ne servirait à rien de lui faire de petites bosses disgracieuses ...

Robin remonte le mouillage pendant que la colonie de manchots papou se réveille

    

Tout d'abord, nous devons traverser un immense champs de gros icebergs. Vu de loin, nous ne voyons aucun moyen de passer. Mais plus l'on s'approche et plus l'on se rend compte qu'il y a largement la place de passer. Nous comprenons mieux pourquoi les traces que l'on nous a donné ne vont pas droit !!! Il faut passer, là où ça passe ...

Champs d'icebergs à traverser

    

Nous rencontrons ensuite un champs de glace uniforme composée de growlers, de plaques de glace et de petits glaçons. Robin à l'avant, Sandrine à la barre, nous passons doucement là où cela paraît moins gros. Suivant les conseils de Jean du voilier Le Boulard, nous ne tournons pas brusquement afin d'éviter que de la glace vienne heurter l'hélice. Si un gros glaçon vient à passer sous la coque, nous nous mettons au point mort.

C'est vraiment amusant de passer là. Mais c'est aussi parce qu'il fait un temps magnifique et que la mer est d'huile, enfin, sous la glace ... Ce serait vraiment l'enfer si la mer était formée. Nous serions heurté par tous ces growlers et le chemin changerait à chaque seconde.
C'est une bonne leçon : il faut rester au mouillage quand il ne fait pas beau et naviguer sur de petites distances quand il fait beau ... C'est d'ailleurs là qu'on en profite le plus car cela permet de s'approcher de très près des animaux qui sont sur les growlers sans les déranger le moins du monde.

Manchot et phoque sur un growler

    

Sur le parcours, nous passons devant la station chilienne Videla. Nous avons décidé de ne pas nous y arrêter car sur le schéma du mouillage que nous avons, l'entrée semble étroite et peu profonde et l'intérieur du mouillage peu profond aussi. Et puis, nous ne pouvons pas nous arrêter partout, il faut en garder pour la prochaine fois ...

Station Videla

Nous continuons notre chemin dans Paradise Bay où plusieurs gros paquebots de croisière font escale à tour de rôle. Ils s'arrêtent au milieu de la baie, mettent leurs nombreux zodiacs à l'eau et emmènent leurs passagers visiter la base argentine Admiralty Brown, observer les phoques et les manchots sur les growlers et s'approcher au pied des glaciers.
Nous nous rendons compte une fois de plus de la chance que nous avons de faire tout cela par nous-même sans contrainte de temps ni planning à respecter et avec tout cela pour nous tout seul quand les bateaux sont partis.
Cela fait la même impression que d'être en voilier à Port Cros en automne, de regarder les touristes prendre le dernier bateau pour rentrer sur le continent et se retrouver seul au ponton avec l'île pour soi tout seul. Quel bonheur, quelle tranquillité !!!

Vues de Paradise Bay

    

Bon, ce n'est pas tout ça, mais il est temps de se concentrer sur l'arrivée au mouillage. Celui-ci est entouré d'icebergs et selon le schéma que nous regardons, il y a une moraine qui barre l'entrée sur presque toute la largeur. Il faut passer bien sur la droite pour ne pas toucher le fond.
Sandrine, bien concentrée sur la trace que nous avons et l'oeil aux aguets sur les repères donnés par le schéma avance au ralenti et fini l'oeil collé au sondeur sur l'élan de Brindacier. Les fonds remontent, remontent, remontent, mais ça passe sans soucis. Brindacier avec ses 1m90 de tirant d'eau passe finalement à peu près partout. Jusqu'à présent, nous n'avons jamais regretté d'avoir acheté un quillard au lieu d'un dériveur comme nous en avions l'intention au départ.

Mouillage d'Admiralty Brown Sud

   

Brindacier au mouillage

    

Il y a de la place dans ce mouillage mais comme nous ne connaissons pas trop les fonds et que nous avons mis 40 mètres de chaîne, nous préférons frapper une amarre à terre pour limiter le rayon d'évitement de Brindacier. Cela donne l'occasion à Robin de poser le pied pour la première fois sur le CONTINENT ANTARCTIQUE !!! Et oui, jusqu'à présent, nous ne nous étions arrêtés que sur des îles. Ce mouillage est le premier et sera peut-être le seul situé sur la péninsule Antarctique elle-même.
Du coup, après le retour de Robin, Sandrine monte à son tour dans l'annexe pour aller poser le pied sur le continent. Yessssss !!!

Sus au continent Antarctique !!!

    

Elle en profite pour photographier la faune et la flore que l'on peut trouver dans ces eaux froides. Comme l'eau est claire !!! Elle donnerait envie de s'y baigner. Il paraît que certains le font, mais cela ne nous tente pas pour le moment.

Vie aquatique

    

Cette limpidité nous permet de voir qu'effectivement la taille émergée d'un bloc de glace, que ce soit un growler ou un iceberg, n'est pas du tout représentative de la taille de sa partie immergée.

Taille des parties émergées et immergées d'un bloc de glace

Une fois encore, lorsqu'il descend sur l'horizon, le soleil pare le ciel et la glace de magnifiques couleurs. Et une fois encore, c'est le moment pour Robin de jouer de la gaffe pour repousser les growlers de la coque de Brindacier. Mais ne vous inquiétez pas, il n'y a vraiment aucun danger pour la coque de Brindacier, c'est juste désagréable d'entendre la glace frotter contre ses flancs.

Robin dans son occupation favorite : surveillance de la glace et action ...

    

Les couleurs du soir

    

9 février 2019 : Navigation de Admiralty Brown à Alice Creek - Port Lockroy (31 milles)
Du vent est annoncé pour les jours à venir. Aussi, nous préférons continuer à avancer vers Port Lockroy et aller dans le mouillage bien protégé d'Alice Creek où nous pourrons aller à terre visiter le musée et nous promener autour de la colonie de manchots papou pendant que le coup de vent passera.

C'est encore une belle journée pour naviguer au milieu des icebergs qui flottent dans Paradise Bay. La distance est un peu plus longue que les deux dernières navigations et il ne faut pas trop trainer. Mais le chenal Ferguson est plein de petite glace, de growler et d'iceberg. Nous allons donc très doucement, moins de 1 noeud. Sandrine à la barre anticipe la route : "alors au premier glaçon à droite, puis au growler carré à gauche, là, je passe au point mort pour glisser jusqu'au petit lac d'eau libre pour pouvoir tourner de 90° et atteindre la plaque de glace là-bas où des phoques se prélassent ...". C'est vraiment chouette, enfin, tant que la mer est d'huile !!!

Champs de glace à traverser

Phoques à la plage ...

    

Non seulement nous allons doucement pour éviter la glace, mais nous prenons aussi le temps de faire le tour complet de tous les growlers sur lesquels sont posés des phoques (Sandrine a toujours l'espoir de voir un phoque léopard ...). A ce rythme-là, nous ne sommes pas près d'arriver ... Mais comment ne pas profiter de tout cela !!!

Paysages à couper le souffle

    

Heureusement, une fois arrivés dans le détroit de Gerlache, il n'y a que de l'eau libre et nous pouvons accélerer sans soucis tout en admirant les manchots dont le déplacement vaut vraiment le coup d'oeil.

Des manchots en promenade

            

L'arrivée à Port Lockroy est facile. Il est possible de mouiller en plein milieu de la baie mais étant donné le vent fort annoncé, nous préférons tenter d'entrer mouiller dans Alice Creek, un mouillage situé dans la partie Est de Port Lockroy entouré de hauts fonds qui arrêtent la glace et la mer. Une fois mouillé, ce doit être vraiment un bon abri.
Le soucis pour nous étant d'y entrer car nos schémas ne sont pas d'accord sur la manière d'y accéder ni sur les profondeurs ?!?
Bon, on le tente quand même. Il n'y a pas de vent, la mer est plate et nous avons tout le temps devant nous. Autant faire de nouvelles expériences, en serrant un peu les fesses tout de même ...

Le mouillage d'Alice Creek : bon schéma, mauvais schéma

    

    

Après être passés tout doucement entre les rochers, nous mouillons 50 mètres de chaîne. Pendant que Sandrine reste au moteur pour maintenir Brindacier dans l'axe, Robin tire 4 amarres à terre qu'il attache aux rochers avec les élingues. Nous en rajoutons une cinquième en garde sur l'arrière tribord pour doubler celle qui devrait travailler le plus lors du coup de vent de Sud-Ouest annoncé. Ainsi, nous devrions être parés.

Installation des amarres à terre

Du 9 au 11 février 2019 : Escale à Alice Creek - Port Lockroy
15h30, il est temps de manger !!! Hummm, des bonnes pâtes bien préparées comme sait le faire Robin !!!
Arghhh, l'huile d'olive est complètement figée dans la bouteille !!! Bon, ben, vive le beurre ...
Arghhh, le Nutella est congelé !!! Bon, ben, vive les tablettes de chocolat ...

Meuh non il ne fait pas froid dans Brindacier ...

    

Une fois le ventre plein, nous partons en annexe dire bonjour aux deux autres voiliers qui sont mouillés dans Port Lockroy. Nous connaissons le premier, Isatis, mais nous n'avons pas encore rencontré le second.
Quel heureux hasard, il s'agit de Pagan l'ancien voilier de Magalie, notre amie de Gibraltar. De plus, elle nous avait signalé que ce voilier avait un problème de moteur à King Georges Island !!! C'est vraiment cool de le voir ici.
Peter navigue seul sur ce magnifique Damien 2 qu'il nous invite tout de suite à visiter malgré les 24 heures qu'il vient de passer à barrer dans la glace depuis Deception !!!
Ouh là là, naviguer de nuit en Antarctique, ce n'est vraiment, mais alors vraiment pas cool. Et en plus en solitaire !!! Il faut dire qu'à priori, il ne l'a pas fait exprès. Etant seul, il ne peut pas comme nous s'arrêter dans les mouillages où il faut mettre des lignes à terre car il ne peut pas à la fois maintenir le bateau au moteur et aller à terre ...
Il a donc dû faire d'une traite le trajet de Deception à Port Lockroy. Mais malgré sa nuit blanche, il est ravi de nous offrir le café et de nous donner plein d'informations sur comment récupérer des cartes des glaces (surtout utiles en Arctique), ... En retour, nous l'invitons à venir dîner sur Brindacier demain soir.

Voiliers mouillés à Port Lockroy

Nous continuons notre périple en annexe pour aller visiter le musée de Port Lockroy où nous avons pris rendez-vous au préalable à la VHF. En effet, ce musée est un point de passage obligé pour les paquebots de croisière et il faut prévenir avant d'y aller afin de ne pas y être en même temps qu'eux.
C'est un jeune français qui nous accueille, nous explique plein de choses sur les manchots et nous fait visiter le musée puis la boutique de souvenirs. Il ne faut pas trop trainer car il est tard et l'équipe du site est invitée sur le paquebot au mouillage à l'extérieur de Port Lockroy pour y prendre une douche et partager un barbecue.

Visite de Port Lockroy

    

    

L'équipe de Port Lockroy est acheminée en paquebot de croisière au début de la saison, vers mi-novembre, et en repart par le même moyen mi-mars. Leurs conditions de vie sont assez rudimentaires. Ils n'ont pas de douche et les paquebots de passage les invitent régulièrement à leur bord à la fin de la journée pour profiter des leurs. Ca, c'est vraiment sympa.

C'est assez étrange de trouver une boutique de souvenirs en Antarctique. Cela permet aussi d'envoyer des cartes postales !!!
D'après ce que l'on nous a dit, le chiffre d'affaire de la boutique est vraiment très important. Certains y voient une première incursion du mercantilisme en Antarctique, un premier pas vers la commercialisation de cet espace protégé. Mais n'est-ce pas déjà le cas quand on voit le nombre de paquebots de croisière qui s'y rendent chaque année ?

L'accès au site de Port Lockroy est assez aisé mais par contre, il n'y a pas de bon endroit où laisser l'annexe pendant la visite du musée. Soit l'annexe est légère et il est alors possible de la monter sur une plateforme rocheuse, soit, comme la nôtre, elle est trop lourde et il faut se faire une raison et la laisser contre les rochers le temps qu'il faut. Dans ce cas, il n'est pas possible d'y aller lorsqu'il y a de la mer.
Le départ du site fut d'ailleurs l'occasion d'une bonne rigolade. Heureusement, là encore, la combinaison de pêche a prouvé son utilité ... Lorsque l'annexe est parti du bord, le moteur a calé. Le temps de le redémarrer et l'annexe était dans les hauts-fonds. N'écoutant que son courage, Sandrine a sauté à l'eau jusqu'à la taille pour la maintenir hors des rochers le temps que le moteur démarre correctement. Sans la combinaison de pêche, elle aurait été transit et il aurait été difficile de faire sêcher toutes ses affaires. En tout cas, à part elle, tout le monde a bien rigolé ...

Port Lockroy est un endroit intéressant car il y a pas mal de choses à voir et à faire : le site historique, la colonie de manchots papou, le front du glacier, une ballade en raquette ou à ski vers Dorian Bay de l'autre côté du glacier (à faire avec une personne compétente). En ce qui nous concerne, n'étant pas équipés ni compétents, nous n'avons pas été randonner.
En revanche, nous avons bien profité de la colonie de manchots pour observer ces animaux tout notre soul.

Colonie de manchots papou à Port Lockroy

    

    

Peter est inquiet pour son voilier et préfère ne pas le laisser et venir le jour suivant sur Brindacier car un gros iceberg menace d'entrer dans le mouillage. Mais même un jour plus tard, c'est un plaisir de passer du temps avec lui !!!

Iceberg à l'entrée de Port Lockroy et Peter à bord de Brindacier

    

Le coup de vent passe. Nous sommes bien protégés et nous pouvons même aller à terre en annexe sans soucis. Un vrai bonheur ce mouillage. Enfin, une fois qu'on y est ...

12 février 2019 : Navigation de Alice Creek - Port Lockroy à Pleneau (27 milles)
Il ne fait pas très beau, le temps est gris, gris, gris ...
Mais nous avons des nouvelles de Jean du voilier Le Boulard. Il sera ce soir à Pleneau avec le voilier La Cardinale que nous ne connaissons pas. Il nous donne rendez-vous pour l'apéro. Ah là là, dur de refuser ...

Avant de partir, Robin part en annexe ramener à Peter le sweet-shirt qu'il a oublié hier soir à bord. Mauvaise idée ...
Son voilier est entouré par la glace et notre annexe a énormément de mal à passer. Robin remonte le moteur hors-bord de peur d'abîmer l'hélice et c'est à la rame (ce qui ne fonctionne pas très bien non plus sur les plaques de glace) qu'il essaie d'atteindre Peter. 1 heure pour faire l'aller/retour, quel courage !!!

Pagan au mouillage au milieu de la glace

    

Départ de Port Lockroy

    

Contrairement à nos habitudes, nous quittons donc le mouillage par ce temps très mitigé. Il n'y a pas de vent et c'est tant mieux. Mais nous craignons le brouillard.
Le plafond est bas mais à priori stable. Nous avançons sans soucis vers Pleneau. Nous passons côté large car nous avons entendu plusieurs à la radio que le détroit de Lemaire était bouché par la glace.
Nous croisons d'énormes icebergs que nous laissons assez loin de nous. Puis, pas très loin du mouillage de Charcot, nous entrons dans une zone appelée le cimetière des icebergs. C'est impressionnant. Il y en a partout !!!
Nous sommes obligés de quitter la trace que nous avions et de passer dans des endroits non cartographiés pour les contourner.

Nous avançons à toute petite vitesse. C'est bien dommage que le ciel soit si gris mais heureusement que la mer est plate sinon nous n'aurions pas pu passer à côté de ces monstres. Leurs couleurs et leurs formes sont très variées. Au pied de certains, plusieurs phoques s'ébattent dans leurs eaux turquoises. Comme c'est calme. Nous avons l'impression que les sons sont assourdis. Nous parlons bas pour ne pas rompre l'harmonie.

Passage dans le cimetière des icebergs

Encore une fois, l'arrivée au mouillage est un petit moment de stress. Comme d'habitude, nous avons plusieurs schémas indiquant des profondeurs différentes !!! 5m, ça passe, mais 1m50, ça ne passe pas ...
Et puis, une fois à l'intérieur, est-ce qu'il y a assez de place pour faire demi-tour afin de pouvoir partir rapidement si nécessaire ?
Rentrer dans ce mouillage en marche arrière n'est pas envisageable car le sondeur est à l'avant et pas à l'arrière.
Finalement, nous mettons l'annexe à l'eau et Robin part en éclaireur voir s'il aperçoit des rochers sur le trajet.

Pas de soucis, c'est la place de la Concorde !!! Brindacier décide tout seul de faire demi-tour. Parfait, il est parfait ce merveilleux bateau. Comme pour entrer et sortir des places de port, il suffit de le laisser s'exprimer et il s'arrange pour faire ce qu'il faut, comme il faut, tout en douceur !!!

Cette fois-ci nous ne mettons pas l'ancre, nous utilisons uniquement des amarres à terre. Jean n'étant pas encore là, nous avons toute la place pour manoeuvrer. Nous nous reculons au maximum dans le mouillage pour lui laisser de la place ainsi qu'à La Cardinale.
Robin a beaucoup de mal à trouver des rochers où s'accrocher. Pendant ce temps, Sandrine rame au moteur (c'est le cas de le dire ...) pour garder Brindacier bien au milieu. C'est long de mettre 4 amarres en place. Les rochers au bord sont friables et petits et plus haut, tout est enfouie sous la neige. Bon, il va falloir se contenter de ce qu'il y a.

Amarrage de Brindacier mis en évidence en jaune

Une fois Brindacier bien en place, nous allons à terre faire une petite ballade et essayer de trouver un beau point de vue. Nous entendons les icebergs bouger et craquer au loin. C'est vrai que nous nous répétons un peu, mais QUE C'EST BEAU !!!

Vue des environs de Pleneau

Nous allons ensuite faire un tour en annexe vers l'île de Pleneau où Sandrine espère voir des éléphants de mer. Il y a très peu d'eau et il faut faire attention que le moteur hors-bord ne touche pas le fond. Au bout de Pleneau, nous tombons sur la première fois sur de la mer gelée. Les éléphants de mer sont peut-être les tâches sombres que nous voyons vautrées à l'autre bout de cette glace. Malheureusement, nous ne pouvons pas approcher. La glace est dure comme du béton et notre annexe gonflable, bien qu'ayant un plancher en aluminium ne nous paraît pas taillée pour ce genre d'expédition. Quant à marcher sur la glace, même si elle semble solide, cela semble inconscient. Tant pis, nous en verrons peut-être ailleurs. Sandrine les ajoute à sa liste, derrière le léopard de mer.

Peut-être des éléphants de mer sur la mer gelée au loin ...

De retour sur Brindacier, nous recevons un appel de Jean par VHF. Il arrive !!! C'est trop cool !!! Il vient se mettre à couple de Brindacier, tête bêche. Bon, nos amarres dont nous ne sommes pas certains de la tenue vont devoir tenir deux bateaux au lieu d'un. Cela inquiète Robin ...
Finalement, Jean envoie deux de ses équipiers ajouter des amarres à terre. Heureusement car le vent se lève et souffle fort pendant que nous buvons l'apéro puis que nous nous régalons d'un bon dîner sur Le Boulard.

Apéro et dîner sur Le Boulard

    
 

Le lendemain, le baromètre amorce une chute vertigineuse. Ca va souffler !!! Et oui, effectivement, ça souffle. D'ailleurs nos amarres sautent régulièrement et Robin, avec l'aide François et Pierre, deux équipiers du Boulard, part les remettre en place. Toute la journée passe à discuter, boire et manger tout en écoutant d'une oreille les rafales au-dehors.

14 février 2019 : Navigation de Pleneau à Verdnasky via Petermann (11 milles)
Le vent s'étant calmé, Jean décide de partir vers Verdnasky où l'attend le voilier La Cardinale à qui il doit apporter des filtres à gasoil.
Après un demi-tour un peu juste dans le mouillage, Le Boulard nous attend à la sortie pour que nous allions ensemble visiter le site de Petermann situé à 4 milles à peu près, sur la route vers Verdnasky.

Le mouillage de Petermann n'est pas terrible. Aussi, Robin reste sur Brindacier sans mouiller pendant que Sandrine va se promener à terre avec les équipiers du Boulard.

Le Boulard et Brindacier en attente à Petermann

La ballade est facile et agréable. Nous passons à côté d'une colonie de manchots papou parmi lesquels nous trouvons quelques manchots Adelie. Comme ils sont beaux avec leurs yeux cerclés de blanc.

Manchot Adelie

Une fois la colline passée, nous redescendons vers le refuge argentin devant lequel nous pouvons observer pour la première fois un nid de manchot papou avec des petits entre les pattes.

Refuge argentin au loin et nid de manchot papou

    

La vie de manchot n'est pas facile. Des prédateurs, comme certains oiseaux, rodent autour des colonies et nous croisons quelques restes de malchanceux.

La dure loi de la vie

    

Le ciel se couvre et la visibilité se réduit. Il est temps de rentrer aux bateaux pour faire route vers Verdnasky.

Retour de Sandrine sur Brindacier sous la surveillance de Robin ...

    

Nous longeons l'île Galindez en passant par l'Est. L'entrée est claire et nous sommes serein car nous suivons Le Boulard qui connaît très bien les lieux.

La station scientifique de Verdnasky

    

Il rentre le premier dans le mouillage où se trouvent déjà Isatis et La Cardinale. Il vient se mettre à couple de La Cardinale.
Nous arrivons ensuite pour nous mettre à couple de lui. 3 voiliers sur les mêmes amarres, ça commence à faire beaucoup alors nous allons en mettre deux à terre, une à l'avant et une à l'arrière, tout en restant amarrés au Boulard pour le tenir éloigné de La Cardinale. Ainsi, les forces sont mieux réparties.
Peu de temps après, nous entendons à la VHF que le voilier Perdpaslenord que nous avions croisé à Deception vient de mouiller en face du ponton de la station.
Nous sommes loin de l'image de solitude que nous nous faisions de l'Antarctique !!! Mais quoi qu'il en soit, c'est vraiment très sympa de partager ces moments avec d'autres voiliers.

Il y a foule au mouillage ...

Ce premier soir, nous sommes invité à faire la fête sur Le Boulard, sur lequel nous commençons à prendre nos habitudes ... La Cardinale est de la partie et Robin s'en donne à coeur joie avec Jeanne à chanter tout son répertoire de chants de marin. Ca, se sont vraiment de bons moments.
Il est tard, aussi nous appelons la station pour remettre au lendemain notre visite à terre. Nous espérons que cele ne les contrarie pas trop mais nous ne pouvons décemment pas arrêter là le tour de chant !!!

Au petit matin, nous sommes réveillés par le bruit de la glace qui frotte contre la coque. Cette fois-ci, c'est Sandrine qui s'y colle. Une belle plaque de glace, squattée par deux phoques fait des va-et-vient dans le mouillage en fonction du courant. Le but du jeu est de la faire passer sous les amarres sans déranger les phoques ...

La valse des phoques dans le mouillage

    

Une grosse lentille de glace se met de la partie. Il faut la pousser avec l'annexe avant que les amarres ne se prennent dessous. Ca marche bien mais il faut faire attention à ne pas abîmer l'annexe sur la glace coupante. Pour ce faire, nous faisons pendre à l'avant une glenne qui protège bien le dessous avant du boudin. Mais il faut tout de même rester délicat sur la maneouvre !!!

Pousse-pousse de la lentille

A proximité du mouillage, se trouve Wordie House, un site historique construit en 1947 sur le site de la cabane de l'expédition britanique Grahamland de 1936 qui a été balayée par un raz de marée. En dehors du bâtiment, il y a un panneau de bois rare qui date de 1947.
Avec tout l'équipage du Boulard, nous partons en annexe visiter ce site. C'est bien la première fois que nous jetons l'ancre de l'annexe dans la neige !!! En plus, ça tient très bien.
Il faut dire qu'elle est profonde, n'est-ce pas Sandrine ???

Mouillage dans la neige, profonde ...

    

L'entretien du site historique est financé presque entièrement par la vente des souvenirs de la boutique de Port Lockroy. Des équipes viennent régulièrement faire des travaux d'entretien pour que le site ne se détériore pas.

Wordie House

    

Le second jour, nous décidons de mettre Brindacier dans le sens du mouillage, l'étrave face à la sortie. Cela nous permettra de quitter le mouillage plus facilement si le vent se lève. Autant profiter de ce beau temps calme pour le faire maintenant. La manoeuvre nous prend environ 1h30. Cela paraît long mais il faut gérer les deux amarres à terre, en ajouter une troisième et faire pivoter Brindacier le long du Boulard sans le toucher ... Opération menée de main de maître mais nous nous sommes congelés !!!
Nous comprenons pourquoi Jean n'était pas favorable à notre manoeuvre ... Maintenant, c'est lui qui prend les plaques de glace de la valse des phoques par son travers. Héhéhé, nous allons bien dormir ...

Reprise de la valse des phoques côté Boulard

    

Ce soir, nous sommes invités à visiter la station de Verdnasky. Nous sommes très nombreux car tous les équipages des voiliers y vont, soit 22 personnes !!! 4 belges et 18 français. C'est tout de même incroyable la suprématie des voiliers français dans les grand Sud !!!
Chacun amène quelque chose car après la visite, il est prévu une soirée au bar de la station. Certains amènent des gâteaux, d'autres des bouteilles. Il est aussi de mise d'apporter quelques cadeaux utiles : cigarettes, bouteilles, ...

Visite de la station scientifique : bureaux et laboratoires

    

Affiches des gestes de survie dans le couloir : construction d'un igloo, méthodes d'encordement ...

    

Equipements pour le travail extérieur

Après la visite, nous allons au bar, lieu de discussion privilégié entre les scientifiques, heureux de voir de nouveaux visages, et les équipages.
Tout le monde discute à bâtons rompus selon ses centres d'intérêt : Robin continue à propager la recette des tartelettes au citron qui ont fait fureur au bar pendant que Sandrine promet d'amener les photos que nous avons prises des baleines à une chercheuse de la station.

Sandrine, en pantoufles ..., prend rendez-vous pour le lendemain pendant que Robin explique en anglais la recette des tartelettes au citron

    

Sur la poutre au-dessus du billard, triés par ancienneté, sont affichées les photos des voiliers qui viennent régulièrement à Verdnasky. Bien entendu, nous trouvons en bonne place Jean et Le Boulard.

Jean et Le Boulard, plaque d'habitué à Verdnasky

N'ayant plus l'utilité de tous nos bidons de gasoil pour la suite de notre voyage et en ayant déjà vidé une grande partie, nous les proposons à Jean et à La Cardinale. La Cardinale veut bien nous en acheter 9 de 25 litres chacun. Ouf, même s'il nous reste encore 14 bidons de 20 litres, cela fait de la place à l'intérieur ...

Trafic de bidons au mouillage ...

Le lendemain matin, tous les voiliers se décident à partir. Etant les plus proches de la sortie et n'ayant pas l'intention de partir tout de suite, nous manoeuvrons de 9h00 à 11h30 pour laisser passer tout le monde. Quelle galère !!! Il faut maintenir Brindacier dans l'axe, attaché seulement d'un côté, poussé par le vent léger pendant que les voiliers se décident doucement à passer. Avec le recul, nous aurions mieux fait de larguer les amarres pour revenir ensuite. Le seul problème des tourets est qu'il faut entièrement les dérouler pour pouvoir larguer l'amarre depuis le bateau.

Après ces longues longues manoeuvres qui nous ont congelées sur place, nous partons en annexe voir Perdpaslenord pour les aider à bricoler leur électronique afin de pouvoir afficher les cibles AIS à l'extérieur.
Malgré la bonne volonté de Sandrine, rien n'y fait. Les cibles peuvent maintenant s'afficher sur une tablette via le Wifi du Miniplex mais pas dehors via la liaison SeaTalk. A priori, il faudrait modifier le DNS mais pour ce faire il manque un mot de passe. C'est la mort dans l'âme que les travaux s'arrêtent là.

Nous passons ensuite à la base pour déposer les photos des baleines que nous avons prises depuis notre départ de Puerto Montt. Nous donnons aussi à Oksana, la première femme à hiverner dans la station ukrainienne, les coordonnées de Greg et Kery qui travaillent comme elle à cataloguer les baleines et à essayer de suivre leurs migrations.

16 février 2019 : Navigation de Verdnasky à Port Lockroy (35 milles)
Il est tard pour partir vers Port Lockroy, mais Sandrine, inquiète par les icebergs qui rentrent au début du mouillage insiste pour partir quand même vers Port Lockroy.
De plus, un créneau météo se dessine pour passer le Drake dans les prochains jours. Ce serait bien d'en profiter et pour cela, il faut remonter vers le Nord.

Mauvaise décision, très très mauvaise décision !!!
Il est vrai que les icebergs ferment le passage par lequel nous sommes entrés à Verdnasky mais il y a un second passage bien dégagé. La trace que nous avons de ce passage passe pile poil sur un rocher. Nous ne savons pas de quel côté le laisser ...
Mauvaise pioche, il fallait le laisser à bâbord ... Tant pis, Brindacier, touche le fond doucement sur son erre et passe le haut fond.
Nous sommes passés si doucement qu'il n'y a pas de soucis à craindre. Nous attendrons une eau plus chaude pour jeter un coup d'oeil sur la quille. Mais bon, avec 20mm d'épaisseur d'acier, nous avons l'esprit tranquille.

A peine sortis du mouillage, nous prenons la houle de face et un vent de 15 à 20 noeuds. Ca s'annonce mal. Mais nous n'avons pas le courage de faire demi-tour et de remettre toutes les amarres. 35 milles, ce n'est quand même pas la mer à boire !!!
Et ben si !!! La Cardinale et Le Boulard ayant prévu d'aller à Pleneau, nous ne voulons pas y aller pour éviter de rejouer des heures durant avec les amarres. Jean nous a fortement déconseillé le mouillage de Charcot par vent fort. Alors, ne connaissant pas d'autre mouillage sur le trajet et n'étant pas décidés à faire demi-tour, nous continuons sur notre lancée vers Port Lockroy.

Nous croisons un peu de glace dans le détroit de Lemaire mais ça passe sans problème. Il y a de l'espace entre les growlers. Un peu avant le cap Renard, la nuit commence à tomber et le vent à forcir. Brindacier, le moteur à 1800 tours, avance péniblement à 1,5 noeuds en piochant dans la mer courte. Oh que la nuit va être longue !!! Oh comme nous regrettons d'avoir quitté le mouillage !!!

Nous n'aimons pas du tout, mais alors pas du tout cette situation !!! Nous sommes tributaires du moteur et de l'électronique, à la merci d'un morceau de glace que nous ne verrions pas et cela pour toute la nuit au moins !!! Grrrr, que nous sommes nuls !!!
Bon, ce n'est pas tout ça, mais puisque nous y sommes, autant faire au mieux. Par précaution et pour limiter le froid et les vêtements trempés, nous enfilons nos combinaisons de survie. Sandrine prend la barre et Robin gère la route et la glace au radar ou à l'avant avec un projecteur lorsqu'il a un doute. A la fin de la nuit, Robin est devenu un adepte du radar !!!
Les cercles radar de la même échelle que ceux du radar sont affichés sur OpenCpn permettant ainsi de mieux faire correspondre la cartographie avec la vision du radar.

Robin au radar et à la cartographie

Nous ne changeons pas nos rôles car Sandrine n'a pas froid et n'est pas fatiguée. Mais surtout, ses yeux se sont habitués à la nuit lui permettant de prendre quelques points de repères et apercevoir les quelques growlers qui trainent. Au fur et à mesure des heures qui passent, elle sent mieux le comportement du bateau et comment en tirer le meilleur parti par rapport à l'axe du vent et des vagues. Si nous devions changer régulièrement, cela prendrait du temps et rajouterait de la fatigue et du stress à s'habiller et se déhsabiller à chaque fois, reprendre en main le bateau et ses sensations. Tant que ça va comme ça, nous restons comme ça. Ce n'est pas de la gloriole, c'est du pratique.

Ces combinaisons de survie TPS sont au top !!! Elles permettent de manoeuvrer avec. Dessous, elle a mis : 3 grosses paires de chaussettes, 3 caleçons longs, 5 hauts (polaires, doudounes et autres). N'ayant pas retrouvé les sur-chaussons à semelle de la combinaison, elle a réussi à rentrer ses pieds avec la combinaison et les 3 paires de chaussettes dans ses chaussures fourrées !!! Finalement, heureusement qu'il n'y avait pas sa taille quand elle les a achetées à Puerto Montt ...
C'est un vrai confort d'avoir mis cette combinaison car dehors le vent est très froid. Il y a beaucoup d'embruns et ils gèlent parfois avant d'arriver sur la figure. Ca fait mal mais il n'y en a pas tant que ça. De toute façon, nous n'avons pas le choix ...

Sandrine à l'arrivée dans sa combinaison TPS

Un air de ressemblance peut-être ???

    

Au fur et à mesure de l'avancement, Robin met des waypoints sur la carte aux endroits que nous sentons les plus abrités du vent et de la mer au cas où nous aurions besoin de faire demi-tour et d'attendre le jour.
Finalement, au petit matin, à 6h25, après 14 heures de navigation, le vent se calme et nous arrivons tout penauds à Port Lockroy. Bon, celle-là, ce n'est vraiment pas la peine de s'en vanter. Nous sommes conscients d'avoir eu de la chance qu'il n'y ait presque pas de glace ...

Il est temps d'aller au lit ...

17 et 18 février 2019 : Escale à Port Lockroy
Nous avons la bonne surprise de trouver Pagan, Isatis et Le Boulard au mouillage de Port Lockroy.
Tous sont venus là pour pouvoir prendre le créneau de retour vers le Nord.
Avant de sombrer dans un sommeil réparateur, Jean nous appelle à la VHF pour nous inviter à dîner sur Le Boulard. Ca ne se refuse pas !!! Surtout que cela risque d'être la dernière fois ...

A notre réveil, Isatis et Pagan sont partis. Dommage, nous aurions aimé dire au-revoir à Peter. Nous ne savons pas s'il a décidé d'aller directement à Puerto Montt ou à Tahiti. Quelle force de la nature ?!? Nous espérons avoir de ses nouvelles par la suite.

Après être allés déposer un cadeau de Verdnasky pour Port Lockroy au  musée (cela se fait couramment entre station), nous partons dîner et faire nos adieux au Boulard et à son équipage. Quelle bonne soirée !!! Jean, tu vas nous manquer ...

Au-revoir ...

Nous repartons avec deux sacs de légumes car Jean en a assez pour arriver à un point d'avitaillement alors que nous avons encore pas mal de temps à attendre pour que ce soit notre cas.

Sandrine ayant émis le souhait de manger des spaghetti à l'arabiatta et Robin lui ayant répondu que nous n'avions plus d'oignons ni de spaghetti, le lendemain matin, Le Boulard, avant de quitter le mouillage, passe nous apporter un oignon et un paquet de spaghetti qu'il a négocié avec le voilier Spirit of Sydney qui vient d'arriver.
Quand on vous dit qu'il y a du monde !!!

Un oignon pour des spaghetti à l'arabiatta !!!

    

Le déjeuner terminé, nous recevons la visite d'Adrien de Spirit of Sydney. Il passe nous dire bonjour en coup de vent car ils changent de mouillage dans la journée. Cela fait la troisième fois cette saison qu'ils font un aller/retour avec le voilier en Antarctique. Cela fait beaucoup et ils sont sur les rotules. Nous le comprenons fort bien. Pour nous, une fois par an paraît suffisant !!!

Ca y est, tout le monde est parti. Nous sommes seuls dans ce mouillage où le grand beau soleil nous offre encore une fois des paysages magnifiques. Chacun vaque à ses occupations. Nous prenons le temps de vivre et de profiter de cette dernière escale avant de quitter l'Antarctique. En effet, le créneau météo se confirme et nous partirons demain vers l'île des Etats, à environ 150 milles à l'Est d'Ushuaia.

Approche curieuse d'un phoque lors de la mise à l'eau de l'annexe

Sandrine part à terre visiter une dernière fois la colonie de manchots et observer le comportement des petits et de leurs parents. Sur cette photo, on voit bien le petit demander à manger à l'un de ses parents en lui tapotant le bec. Le jeune est nourri, il est grassouillet. En comparaison, son père (ou sa mère) est bien maigrichon à se dépenser sans compter pour le satisfaire.

Nourrissage des petits

    

Des ossements de baleine

    

Un cormoran fait le guêt

Un phoque fait bronzette

Cette belle journée de repos nous a requinqué. Brindacier est prêt à partir pour traverser le passage du Drake. L'annexe est rangée sous la bôme, les tourets d'amarres sont à l'intérieur, les planchers sont fixés, ...

Brindacier prêt à partir


Nous profitons des couleurs du coucher de soleil sur la glace avant d'aller dormir. Nous en prenons plein les yeux encore une fois. Nous respirons le grand air pur de l'Antarctique et ouvrons grands nos oreilles aux bruits de la nature : le glacier qui craque, les manchots qui crient, ...

Un grand moment de paix

Du 19 au 24 février 2019 : Navigation de Port Lockroy - Antarctique à San Juan de Salvamento (Ile des Etats) (638 milles)
A 05h30 du matin nous levons l'ancre de port Lockroy pour attaquer notre retour vers l'Amérique du sud.
Il fait un beau soleil et le vent annoncé pour la journée est faible. Lorsque nous remontons le mouillage nous avons la surprise de voir que les parois de la baille à mouillage sont gelées à l'intérieur de Brindacier !!!

Le gel dans la baille à mouillage

Nous nous engageons dans le canal de Neumayer ou nous sommes cueillis par quelques glaces et de bonnes rafales catabatiques. La grand voile envoyée en tête de mat est rapidement affalée et ferlée sur la bôme.
Nous slalomons jusqu'à 09h30 dans une mer de glace assez dense puis rejoignons Gerlache Strait qui est quant à lui bien dégagé.

Les îles Melchior sont atteintes vers 15h et nous savons que notre ami Jean du voilier Le Boulard a du quitter ce mouillage il y a une heure ou deux. Nous ne devrions donc pas être bien loin derrière lui.
Pour cette première soirée et première nuit, nous naviguons encore dans des zones "à glaces" comme en temoigne ce gros iceberg en forme de sous-marin croisé au large des îles Melchior.

Iceberg sous-marin

La veille s'effectue de manière continue à l'extérieur avec un roulement toutes les heures. Le radar est également en service permanent. L'avantage de partir de Port Lockroy est que nous pouvons dégonfler l'annexe et la ranger sur le pont la veille du départ contrairement à Melchior où l'on en a besoin pour récupérer les amarres à terre. Le désavantage de partir de Port Lockroy est que la distance à parcourir dans les glaces est plus longue de 40 milles et cela implique obligatoirement une veille nocturne extérieure.
Le froid est saissisant et la fatigue accumulée ces derniers jours nous font ressentir ces basses températures plus douloureusement qu'à l'aller.

Au cours de la nuit, Sandrine accuse un coup de froid sérieux qui la cloue au lit pendant plusieurs heures. Il lui faudra 8 heures de sommeil, écrasée sous toutes les couettes et couvertures du bord et encadrée par les 2 bouillottes pour lui permettre de retouver ses forces le lendemain midi.

Pendant ce temps, la remontée en latitude se poursuit en alternant de la voile et du moteur en fonction des conditions.
Robin aperçoit au petit matin plusieurs baleines et une dizaine de Hourglass doplhins.

Baleines et dauphins en vue

    

Cette seconde journée débute par une température de 3,5°C à bord. Bien que nous ne mettions pas le chauffage en navigation, la température intérieure monte progressivement jusqu'à atteindre au mieux 10°C lorsque, comme ce jour, nous ne faisons que du moteur. Robin doit même mettre le Nutella au bain marie pour pouvoir y plonger la cuillère.

Nutella, quand tu nous tiens ...

La troisième journée est un peu plus chaude : 6°C à 6h du matin dans le carré. Le vent se lève progressivement et nous naviguons sous GV et génois toute la journée.
A 12h15 nous passons au nord du 60ème parallèle sud et sortons ainsi de la zone du traité Antarctique.
Il neige de gros flocons; c'est beau mais frais... Nous recevons un SMS par téléphone satellite de Jean du Boulard qui se situe alors à une dizaine de milles de notre position. Tout va bien à son bord. La convergence Antarctique est ensuite franchie dans la soirée. Cette fois nous n'observons pas d'animaux en pagaille.

Navigation sous la neige

La nuit entre le troisième et le quatrième jour se passe à la voile mais notre vitesse d'avancement est un peu faible et l'hydrogénérateur ne parvient pas à étaler la consommation électrique du pilote.
Au petit matin du quatrième jour, la tension aux bornes des batteries est un peu faible à notre goût : 12,4 volts. Et ce n'est pas avec ce ciel tout gris que les panneaux solaires vont recharger les accus !
Pour la première fois, depuis notre départ de Toulon, nous décidons de mettre le moteur en route pour recharger les batteries.

Dès celui-ci démarré nous entendons un bruit d'échappement anormal. Un coup d'oeil dans la jupe et c'est confirmé... le moteur ne crache pas d'eau - problème de refroidissement. Tout de suite, nous l'éteignons pour éviter la surchauffe du bloc moteur et la fonte possible du waterlock qui ne reçoit plus que des gaz d'échappement brûlants.

Afin de s'attaquer calmement au problème, Brindacier est immobilisé à la cape courante sous GV 2 ris et génois à demi enroulé. Dans un premier temps, le filtre à eau de mer est vérifié et nettoyé : RAS de ce coté là.
Alors tout de suite notre attention se porte sur la pompe à eau de mer. Nous dévissons le capot de l'impeller et découvrons une turbine qui n'a plus aucune ailettes ! Le manuel d'entretien Yanmar recommande de la changer toutes les 1000h. Celle-ci n'en n'avait que 400.

Anecdote marrante et instructive, il est arrivé le même problème d'impeller au voilier Le Boulard sur le Drake aller et un ami à lui a fusillé 3 impellers sur un Drake retour l'année dernière.
Toutes ces turbines avaient des provenances diverses (Yanmar, Jabsco, etc.). Alors est-ce le caoutchouc qui est de mauvaise qualité ? Est-ce l'eau très froide de l'Antarctique qui durcit le caoutchouc et le rend cassant ? Sont-ce de tout petits morceaux de glace qui se faufillent dans le circuit "eau de mer" et déteriorent les ailettes ?
Quoi qu'il en soit, il faut prévoir un sérieux stock d'impeller de rechange pour l'Antarctique. Heureusement nous avions 3 turbines neuves avant de quitter Puerto Williams. Nous en avons donné une à Jean en Antarctique pour palier son problème rencontré à l'aller et il nous en reste 2 pour gérer la situation actuelle.

Avant de nous attaquer au changement d'impeller nous voulons retrouver si possible les ailettes parties dans le circuit de refroidissement. Les durites sont alors démontées, soufflées, aspirées, etc... Seulement 3 sur un total de 12 ailettes sont récupérées.
La nouvelle turbine est mise en place et le moteur relancé. Parfait ! Tout fonctionnne ! Les voiles sont ré-envoyées et Brindacier poursuit sa route sous GV 1 ris, génois à demi roulé et trinquette en direction du Nord. Le moteur reste en fonctionnement quelques heures, le temps de recharger les batteries.

Dans la nuit Sandrine réveille Robin. Il faut empanner ! Allez debout, il faut enfiler le gilet de sauvetage car il fait nuit, enrouler le génois, larguer la retenue de bôme, déplacer le chariot sous le vent, replacer la retenue de bôme sur l'autre amure, empanner la trinquette et au moment d'empanner la GV, Sandrine s'écrit : Je me suis trompée, il ne faut pas empanner mais juste lofer un peu ...
Et voilà, il faut tout refaire dans l'autre sens dans le froid avant de pouvoir retourner se mettre au pieu. Grrrrrrrr

Le cinquième jour, le cap est toujours mis sur l'île des Etats que nous devrions apercevoir dans la soirée et atteindre le lendemain matin. Nous sommes vigilants sur l'heure d'arrivée car les courants sont forts sur les bords Est et Ouest de l'île et la mer s'y trouve particulièrement agitée.
Au cours de la journée le vent s'établit entre 15 et 20 noeuds au portant avec de fortes variations de direction sous les grains neigeux. Un empannage sauvage de la GV, malgré le pilote automatique, nous surprend en pleine partie de yam's.
La bôme est à contre et sa retenue est impossbile à larguer à cause de la pression dans la voile. Heureusement le grain est bref, le vent mollit, la barre répond et la GV se remet en place. Plus de peur que de mal. Seule une petite estrope a cédé, déchirant le lazy-bag sur quelques centimètres.

Vers 3h du matin nous prenons la barre à la main car le pilote consomme trop dans la mer formée que nous traversons cette nuit.
L'approche par l'Est de l'île des Etats nous inquiète un peu car la mer s'est creusée ces dernières heures et les courants ainsi que le mascaret connus dans cette zone ne vont pas améliorer notre situation.
La décision est prise au petit jour de rester à environ 7 milles à l'Est de l'île pour contourner la zone de mascaret.
La terre est maintenant bien visible par le travers et comme la mer ne parait pas plus dure proche de la côté, nous infléchissons notre route en direction du mouillage visé.

C'est à ce moment que nous sommes pris par un fort courant de Nord qui nous pousse tellement fort que nous ne parvenons plus à faire coïncider notre observation de la terre, notre cap compas, notre route GPS et donc notre cartographie. C'est très surprenant et heureusement que nous sommes à deux pour éclaircir la situation.
L'un barre et l'autre analyse la carte, le compas, la route et enfin conclut : C'est le courant. Impossible à contrer, nous voulons faire du 270°, le compas magnétique indique 240° et notre route GPS est de 345°.
Environ 2 heures s'écoulent ainsi avec 25 noeuds de vent en pleine face et le moteur à 2000 tr/min. Finalement, petit à petit, la côte de l'île nous protège du courant, la marée va bientôt s'inverser et tout rentre dans l'ordre.

Le phare du Bout du Monde est devant nous et nous sommes accueillis à l'entrée de la baie par quatre magnifiques orques très tranquilles. Les rafales sont fortes dans la baie de San Juan de Salvamento mais plus l'on s'enfonce dans la baie et meilleur est l'abri. Le paysage qui se dévoile petit à petit à nous est superbe.

Un orque à l'entrée du mouillage où se situe le phare du bout du monde

    

L'ancre est remise à poste et nous mouillons vers 10h du matin au fond de la baie par 11m de fond. Les 60m de chaîne et 10 m de bout sont sortis car un coup de vent sérieux est annoncé d'ici 2 jours. Enfin voilà, nous sommes revenus d'Antarctique.

Bilan de l'Antarctique :
Ca se mérite, mais c'est magique !!! Si un jour vous avez l'occasion d'y aller, ne la ratez pas !!!

Du point de vue technique, nous avions bien préparé Brindacier et nous n'avons eu aucun raté de sa part. Le chauffage, l'isolation, l'autonomie, ... Tout était parfait. C'est vraiment un excellent bateau pour deux, taillé aussi bien pour le chaud que pour le froid. Un rêve.

Du point de vue humain, à deux, c'est épuisant. En effet, tout était nouveau et du coup fatiguant et stressant parfois :
-
l'arrivée chaque soir dans un mouillage inconnu peu ou pas cartographié avec des schémas parfois contradictoires,
- des passages dans les glaces où nous débutions sur le sujet et ne savions pas jusqu'où il est possible de passer sans abîmer Brindacier,
- des mouillages nécessitant parfois une veille de nuit soit pour la glace, soit pour la tenue du mouillage,
- le froid lors des manoeuvres de mouillage avec les amarres trempées,
- l'attention permanente sur l'environnement avec toujours en tête une solution de repli, ...

Mais il faut relativiser tout ça. Nous sommes perfectionnistes, il faut l'avouer et nous aimons maîtriser autant que faire se peut nos navigations. Nous sommes certain qu'un second voyage en Antarctique serait beaucoup plus paisible car nous connaissons mieux les limites de navigation dans la glace, les mouillages, ... D'ailleurs, on le voit bien, les habitués du coin sont beaucoup plus sereins que nous. Malgré cela, nous avons apprécié chaque minute passée là-bas et si l'occasion se présentait nous y retournerions avec enthousiasme.

Pour le froid, nous étions très bien équipés. Nous en avons très peu souffert sauf lors des longues manoeuvres d'amarrage lorsqu'il y avait plusieurs bateaux au mouillage. Notre habillement pour la journée se composait pour Sandrine, la plus frileuse, de :
- 3 paires de chaussettes mises en couches alternées sur
- 3 caleçons longs mis en couches alternées sur
- 5 hauts divers : mérinos à manches longues, polaire fine à col roulé, duvet fin, polaire épaisse et parfois polaire fine sur-couché par
- la salopette de voile super top Gill avec fermetures éclair aux fesses pour pouvoir aller aux toilettes sans tout enlever (quel travail ça aurait été !!!)
- la veste de quart
- une paire de gants fine sous une paire de mouffles monstrueuses NorthSails Himalayan
- un bonnet en laine épais sous un bonnet en peau de mouton retournée type aviateur incluant des protège-oreilles
- une paire de chaussure semelle caoutchou, extérieur cuir et intérieur peau de mouton, 2 tailles trop grandes. Ne pas utiliser
les bottes en caoutchou, c'est trop froid.

Pour aller à terre, nous utilisions nos combinaisons de pêche qui permettent de tirer l'annexe à terre et de mettre les pieds dans l'eau jusqu'aux fesses sans mouiller les vêtements. Le top du top !!!

Des conseils pour ceux qui aimeraient y aller ? La préparation est une des clés du succès, ainsi que la prudence et la prévention. Mais quelle récompense !!!

 

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029 - Février 2019